Une faible lueur.
J'ouvre les yeux, prêts à supporter un changement soudain de luminosité mais rien, il fait presque aussi noir à l'endroit où je me trouve, je l'avais presque oublié… j'aurai voulu l'oublier. Je ne ressens plus rien, mais visiblement mes membres ne peuvent pas bouger. Je tourne la tête et je me rends compte que je suis en position coucher, le corps écartelé en étoile, mes mains sont liées en bout de table, mes pieds également, et je remarque ce même lien au niveau de la ceinture. On dirait la pâle copie d'une table de médecine comme si quelqu'un s'apprêtait à me disséquer et comme pour répondre à cette pensée une personne entre dans la salle. Une silhouette se trouve dans l'intense lumière qu'a créé l'ouverture de la porte, mais mes yeux me permettent de distinguer les formes gracieuses d'une femme. Je préfère regarder le plafond de la salle sentant qu'il vaut mieux paraître encore endormie et pourtant incapable de fermer les yeux.
Je l'entends s'approcher de moi, elle fait le tour de la table, ouvre un volet qui laisse entrer la lumière. Je vois bien mieux et distingue clairement le plafond maintenant, il est haut et pourtant j'ai l'impression d'être dans une geôle adaptée à la taille d'un enfant nain. Je ne peux toujours pas fermer les yeux pourtant je crois que disparaître une fois encore dans l'oubli crée par un noir complet me serait d'une grande aide.
J'entends les talons de la femme sur le sol qui s'arrêtent juste derrière moi, j'aimerai tellement pouvoir fermer les yeux, ne pas voir son visage se placer juste au-dessus du mien, ne pas détailler ses traits parfaits, ses yeux si profonds, son nez d'une finesse irréelle, ses cheveux eux aussi d'un noir de jais dont les longues mèches caressent mon visage comme le baiser du vice. Je perds mon sang froid, j'aimerai pouvoir l'embrasser, lui offrir tous mes biens, ma vie s'il le fallait, je me demande si c'est ça que les adultes désignent comme étant le « coup de foudre » d'après une de leur expression. Elle me sourit et soudain tous les sentiments que j'avais pour elle se transforment en une peur indescriptible. Elle a senti, je ne sais pas comment, mais elle a senti que je la désirais et cela lui plait, maintenant que je la crains son sourire devient un rictus d'une beauté fatale.
Je n'aurais jamais cru qu'une adulte puisse un jour provoquer ce genre de réaction chez moi… Je n'ai même pas la volonté de lui poser des questions et elle le sait, elle prend donc la parole à ma place et avoir un parfait contrôle de la situation semble être d'une satisfaction jubilatoire pour elle. J'en ai froid dans le dos. Cette femme m'effraye et je n'ai pas honte de me l'avouer car je sais que d'autres à ma place auraient déjà succombé à son aura malsaine qui a prit possession de la pièce.
« Je suppose que tu ne te souviens plus qui je suis ? Pas la peine de répondre mon petit, mes serviteurs y sont allés un peu fort sur toi et je me félicite qu'ils n'aient pas disloqué ton esprit avant que je ne puisse m'amuser avec. »
Souffrances, rejets, humiliations... Les souvenirs sont presque sur le point de me revenir mais je bride ma volonté, je ne veux pas me souvenir, son rictus me dit qu'avoir oublié est sûrement la meilleure chose qui me soit arrivé, et à vrai dire je n'ai l'air d'avoir oublié que les récents événements puisque je sais parfaitement qui je suis : Wirgan, un petit garçon parmi tant d'autres... Ou du moins je penses l'être.
Son visage disparaît de ma vision mais elle ne bouge pas, toujours derrière moi, si proche … Je sens qu'elle se prépare. Mes quelques notions en matière de magie me permettent de ressentir les énergies qui s'accumulent derrière moi, pas besoin d'aller chercher bien loin pour savoir autour de qui cette puissance se développe.
« Je ne te demande pas si tu es prêt mon petit, personne ne l'est face à ce que je vais devoir faire. Je vais quand même t'expliquer la situation pour que tu saches que les malheurs ne tombent pas sur les gens de façon totalement arbitraire. »
Elle marque un temps de pause et se concentre pour réguler les flux de magies. C'est une parfaite initiée, elle possède une parfaite maîtrise de son être et des énergies qu'elle invoque.
« Bien, où en étais-je ? Les raisons, voilà. Je devrais dire la raison plutôt. Oui, donc, la raison qui fait que tu es ici, elle est très simple. A la suite d'événements que je ne perdrais pas le temps d'expliquer, tu détiens une information dont j'ai besoin et je vais me faire un plaisir d'aller la chercher. »
Je frémis sans réellement savoir pourquoi, je sens qu'elle sourit, elle se délecte de la peur qu'elle arrive à créer en moi et je n'ai même pas le courage de m'énerver, je suis trop effrayé pour ça… Je sens ses mains se placer de par et d'autre de ma tête et je sens le flux de magie me toucher, les sensations que je commençais à peine à retrouver me permette de savoir que mon corps est prit de légères convulsions mais en quelques secondes cela n'a plus aucune importance. Je ne sens plus aucune sensation physique. Mais en ce qui concerne mon esprit je sens presque comme si je la voyais sa main qui, sans aucune considération pour moi, fouille dans mes souvenirs en vrac. Et alors qu'elle semble pouvoir les mettre bout à bout, mes yeux commencent peu à peu à se fermer et pour la première fois de ma vie, j'ai peur du noir…
Du noir. Du noir. Et soudain... une lueur, une lumière blanche, douce et puissante. Une femme auréolée de blanc qui s'avance. Un seul mot résonne dans ma tête : Sindra...
Plus rien ne sera comme avant désormais.